P. 220. A la mémoire de Nina et de Fernand Erauw

Publié le par JEA

D'authentiques résistants et déportés : elle à Ravensbrück, lui à Esterwegen où il fut initié franc-maçon dans l'une des deux seules loges de l'histoire des camps de la Seconde guerre mondiale.


Sa disparition est accentuée par un long silence. A de rares exceptions près, dont celle plutôt paradoxale de "La Libre Belgique", peu de mots, peu de gestes connus ont salué Nina Eurauw en partance définitive. Un lecteur de ce blog y souhaite une page associant sa mémoire à celle de feu son époux, Fernand Erauw (1914 - 1997). Car tous deux eurent la force de résister à toutes les oppressions sans exception (à commencer par le nazisme puis ses nostalgiques). Ils cultivèrent une sagesse sans artifice, toute d'humanisme lumineux. Puis s'en sont allés en beauté, laissant derrière eux une double silhouette droite et pure.L'histoire de ce couple attend d'être sauvegardée. Faute de compétences et de documents, cette page du blog restera limitée à quelques éclats de leur miroir.



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Nina Erauw naquit à Charleroi en 1917. Son cursus scolaire laisse pantois. A 16 ans, elle termine son secondaire supérieur avec deux années d'avance. Et sa licence en maths sera décrochée en Sorbonne et à 19 ans !
En mai 1940, les Belges que le peuvent, s'exilent devant l'avancée des troupes allemandes. Les massacres et autres barbaries de 14-18 sont restés vivaces dans les mémoires. Les vagues de l'exode vont porter la famille de Nina jusque dans les Landes.
La jeune femme veut et aura sa place dans la résistance aux occupants nazis. Elle deviendra agent de service de renseignements et d'action. Ce qui la conduira à prendre en charge des clandestins à évacuer vers l'Angleterre. Mais encore à participer à des sabotages.
En 1943, la vie bascule pour Nina Erauw. Elle est arrêtée, jugée et condamnée à rejoindre les rangs des ombres "Nacht und Nebel" : celles et ceux dont les nazis se vengent en décidant d'effacer toute trace de leur destin.
Ravensbrück sera le camp où elle devait disparaître.
C'était sans compter avec un moral et une morale sans concessions. Nina Erauw reviendra de déportation. Et parmi ses premiers réflexes de rescapée, se distingue sa volonté de participer à l'ouverture d'un sanatorium pour les victimes mises pendant des années derrière les barbelés !

Débutent ainsi plus de cinquante années toutes marquées par des idéaux sans cesse confrontés aux réalités :
- les droits de l'homme, y compris l'aide aux réfugiés ;
- la mémoire des déportés (politiqueset/ou raciaux).
Peu après 1970, son chef-d'oeuvre personnel se concrétisa sous la forme d'Infor-Femmes pour le Brabant wallon (Wavre). Précurseur, ce Centre développa notamment un planning familial à une époque où le Roi ne s'était même pas encore mis en congé pour ne pas signer la loi légalisant les interruptions de grossesse.

Rien d'étonnant à ce que Nina Erauw devienne singulièrement active dans le "Groupe Mémoire" réunissant des rescapés des camps de concentration et d'extermination. Surtout pas une réunion d'anciens du style très autosatisfaits et donneurs de leçons. Voici ce qu'en écrivait "La Libre Belgique" le 6 juillet 2005, :

- "Très concrètement, le Groupe Mémoire restera un aiguillon contre toutes les dérives politiques qui entacheraient le souvenir des combattants de la liberté de la Seconde Guerre mondiale. L'on aurait tort de penser qu'elles sont rares. Ces dernières années, le Groupe Mémoire s'étonna, par exemple, d'un bout de phrase royale sur l'amnistie, au début du règne d'Albert II (sous Jean-Luc Dehaene) mais monta aussi à plusieurs reprises sur les barricades, notamment contre le décret Suykerbuyk qui instaurait indirectement l'amnistie pour certains collaborateurs.

Aujourd'hui, le Groupe Mémoire manifeste les plus vives inquiétudes face à la progression récurrente de la droite extrême, tant en Flandre qu'en Wallonie et à Bruxelles.

« Un million deux cent mille Belges, toutes communautés confondues, votent pour des partis qui prônent la haine et l'exclusion,
explique André Wynen {alors Président du Groupe}. Loin de nous de penser que tous ces électeurs sont des fascistes; il y a parmi eux beaucoup de mécontents mais si l'on n'y prend garde, l'on risque de revivre le scénario de l'Allemagne de l'entre-deux-guerres. Il faut donc combattre plus que jamais l'extrême droite. A cet effet, nous comptons interpeller très directement le monde politique dès la prochaine rentrée.» C'est qu'aux yeux de Wynen et des représentants des anciens prisonniers politiques et raciaux, « il est moins cinq à un peu plus d'un an des élections communales ». En principe, la Belgique francophone reste épargnée de pareil scénario-catastrophe mais dans le nord du pays, le spectre de voir le Vlaams Belang associé à des majorités politiques communales se précise. Pas grave ? Voire, d'aucuns pensèrent la même chose en France avant que le FN ne s'empare de quelques municipalités et y applique son funeste programme..."

Nina était veuve de Fernand Erauw, un autre rescapé. Sa déportation au camp d'Esterwegen est marquée par un événement sans équivalent : une initiation maçonnique dans une loge forcément clandestine et cependant ouverte dans le camp même (1).



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En 1933, le camp d'Esterwegen avait été ouvert pour "redresser" des Allemands s'opposant à la main mise nazie sur leur pays. Le Prix Nobel de la Paix 1936 fut attribué à l'un des internés de ce camp : Karl von Ossietzky. Ce qui obligea la Croix-Rouge Internationale à se préoccuper du sort de ce prisonnier politique soudain mis sous les feux de l'actualité. Les bourreaux furent obligés de le laisser transporter en milieu hospitalier où il décéda en 1938. Toutes ses dents brisées et des membres rendus inutilisables...

En mai 1943, des résistants hollandais, belges et français furent transférés à Esterwegen comm NN. C'est alors et là que se produisit l'impensable. Les nazis ne cessaient de vouloir "extirper" de l'Europe toute trace de ce qu'ils dénonçaient hystériquement comme un "complot judéo-maçonique". 
Or des déportés belges osèrent dresser symboliquement une loge dans la baraque 6. Cette loge reçu pour nom : "Liberté chérie" (2). Elle unissait :

- Jean De Schrijver, colonel de l'armée belge ;
- Paul Hanson, magistrat qui fut élu à la tête de cette loge ;
- Amédée Miclotte, docteur et professeur ;
- Franz Rochat, docteur et professeur ; 
- Luc Somerhausen, journaliste, rédacteur au Sénat ; 
- Henry Story ;
- Jean Sugg, journaliste.

La baraque 6 abrita une double complicité, une solidarité complémentaire. En effet, des prêtres catholiques veillaient extérieurement pendant les travaux de la loge. Et inversément, les francs-maçons et d'autres résistants montaient la garde quand des messes clandestines étaient dites chaque dimanche matin...
Témoignage de l'un de ces prêtres, l'abbé Froidure :
- "L'esprit de compréhension et de tolérance des non-pratiquants permet que la messe soit récitée à haute voix et en partie chantée..." (3) 
Fait unique : les sept maçons belges initièrent un autre déporté, Fernand Erauw. Membre de l'Armée Secrète, il était tombé aux mains des Allemands en 1942. Evadé mais repris en 1943, il fut avec Luc Somerhausen, le seul maçon encore en vie à la libération.



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Le site du camp d'Esterwegen est enfin libéré du casernement qui en interdisait toute photo. En 2004, un monument y fut inauguré en souvenir de cette loge proclamant malgré les barbelés : "Liberté chérie".



Notes :

(1) Sauf erreur involontaire, outre la loge "Liberté chérie" d'Esterwegen, un autre loge porta le nom de "L'Obstinée" au camp de prisonniers de guerre de Fischbeck.

(2) Lire : Pierre Verhas, Liberté chérie : Une loge maçonnique dans un camp de concentration, Bruxelles, Labor, 2005.

(3) "La Libre Belgique", article sur une "Communauté d'esprit" (4 février 2005) ;
Edouard Froidure, Le calvaire des malades au bagne d'Esterwegen, Coéd. Pax-Ed. des Stations, Liège, 1945.





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J
Bonjour,Sur le site de l' Ordre de Lyon dans la partie Archives et Documents, trois fichiers de texte et deux diaporamas venant de Franz BARDOUX rendent hommage aux membres de la RL LIBERTE CHERIE.Merci au GOB pour les textes et à Franz BARDOUX pour ses diaporamas.Il convient de ne pas oublier.
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J
... l'Ordre e Lyon est la maintenance de la traditionde C. CHEVILLON assassiné par la Milice dans cette même ville.Je recherche le livre de Pierre VERRHASQ eles contributions de Fernad ERAUW; Merci de m'aider.Cordialement,Jean-Pierre BONNEROTwww.ordre-de-lyon.com
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J
Bonjour,Merci pour ce travail de mémoire en faveur de cette Loge et de ses FF; L'Ordre de Lyon est la mainte
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