P. 15. Les Mazures : exposition et animations scolaires
Les Mazures au CFA de Charleville-Mézières et à l'ITCF H. Maus de Namur.
Nathan Szuster est malheureusement décédé en octobre 2004. Déporté aux Mazures mais évadé, il s'était enfermé de longs mois dans le silence avant d'accepter de témoigner en octobre 2003 puis en mars 2004...
Les causes de ce mutisme ? De trois ordres.
- D'abord la disproportion qu'il ressentait entre sa propre histoire et celle de son épouse, Rebecca Schwallens, rescapée d'Auschwitz. Entre les Mazures, "Judenlager", camp de travail forcé pour Juifs et Auschwitz, camp d'extermination, aboutissement extrême de la Shoah.
- Cette hiérarchie dans l'horreur posée, restait la profonde blessure intime qu'il portait devant l'oubli complet de l'histoire des Mazures et de ses 287 camarades dont 239 victimes (sans oublier 102 épouses et 120 enfants). Pour rappel, son plus jeune frère, Mauritz, figurait aussi au nombre des Juifs des Mazures mais fut transféré le 24 octobre 1942 sur Auschwitz via Malines (convoi XV) et disparut sans laisser de trace. Nathan Szuster, lui, se sauva le 5 janvier 1944 de la gare de Charleville quand les "Mazurois" allaient être conduits en wagons à bestiaux sur Drancy pour le convoi 66 vers Auschwitz...
- Enfin sa certitude que tout pouvait recommencer, sous une autre forme certes, mais recommencer... Que l'antisémitisme, au premier rang des racismes, n'avait pas dit son dernier mot, ni concrétisé ses dernières horreurs. Et de déplorer au minimum une indifférence générale répandue notamment dans la jeunesse.
Un autre réalisme-pessimisme imprégnait les conclusions de la conférence donnée au Centre communautaire laïc juif de Bruxelles par Félix Gutmacher le 17 février dernier. Adolescent déporté en camps annexes et à Auschwitz, il traduisait en mots - pour autant que faire se puisse - sa survie dans un univers plus que déshumanisé. Et soulignait l'importance des études et des enseignants de son époque. Il déplorait tristement une grave dégradation actuelle, se traduisant aussi bien par une perte de prestige des professeurs que par une perte de sens même des études, donc de la transmission de savoirs en vue d'une progression de l'humanité.
Cependant pour se limiter aux dernières expositions-conférences scolaires consacrées au Judenlager des Mazures et à ses déportés, et sans tomber dans une rechercher de bonne conscience, des nuances et même plus que des nuances, peuvent être énoncées. Au Centre de Formation pour Apprentis des Ardennes (Charleville-Mézières), quatre modules ont été proposés aux élèves. Trois de deux heures et le dernier de trois heures. Vous avez bien lu ! Nous ne sommes pas dans le domaine du zapping et des décrochages après quelques minutes d'exposé !
Certes rien n'est acquis à l'avance et la documentaliste du CFA, Véronique Alleguède, en prenant la responsabilité d'inviter et l'exposition et les conférences complémentaires, avait entendu auprès de ses collègues l'expression de craintes sur une éventualité de désintérêt voire de rejet par les jeunes apprentis.
Rien de tel néanmoins. Montée par l'équipe de la Bibliothèque centrale de Charleville-Mézières, sous l'impulsion et la responsabilité de Florence Subissati, l'exposition fut même retenue pour les journées portes ouvertes du CFA. Quant aux conférences, il s'avéra qu'au terme de deux et même de trois heures, tous les apprentis, loin de se précipiter pour quitter la salle de projection, se montraient désireux de prolonger encore les échanges !
Il convient peut-être d'y assister pour le croire, mais ces jeunes ne se montrent ni indifférents ni lassés par l'évocation de la Shoah. Leur intérêt n'a rien d'artificiel ni d'hypocrite. Il est porteur de promesses pour l'avenir.
(L'Union-L'Ardennais, 6/02/2006)
Le même constat se dégage du vernissage de l'exposition puis des trois premières conférences à l'Institut Technique de la Communauté Française Henri Maus de Namur. Or dans ce cas précis, il s'agit d'une première. Puisque jamais l'exposition ni une conférence publique n'avaient pu franchir auparavant la frontière belge. Même si tous les Juifs déportés des Mazures, l'avaient été de Belgique (Anvers).
A Namur, le directeur, Didier Leturcq, veut que son Institut développe aussi une éducation à la citoyenneté. Tout comme au CFA, l'atmosphère y règnant, n'est pas celle des incivilités, des confrontations agressives, de la quasi impossibilité pour l'enseignement d'assumer ses missions. Que du contraire. Et dans les classes d'histoire de Mme Duchesne, elle qui les conduit notamment à Auschwitz, les élèves de terminale ont réservé à l'évocation des Mazures une qualité d'attention et de réflexion remarquable.
Ainsi, tous ces jeunes sauvent-ils, en Ardennes de France et dans la capitale de la Wallonie, une mémoire que plus de soixante années d'occultation rendaient menacée de totale disparition ! Un dernier mot que l'on hésite à écrire mais tant pis. Il ne s'agit évidemment pas ici de racisme à rebours. Mais que soient aussi remerciés les élèves d'origine d'Afrique du Nord - parfois nombreux dans des classes rencontrées -et qui tous, sans exception, se sont montrés d'une grande dignité face à une histoire qui n'était pas celle de leurs parents et grands-parents, mais l'histoire d'un crime contre l'humanité toute entière.