P. 43. Collaboration économique aux Mazures
L'entrepreneur Viot et l'Organisation Todt
La page précédant celle-ci sur le Blog, mettait fin à une confusion involontaire mais persistante aux Mazures entre une photo remontant à l'occupation allemande de 1914 - 1918 et l'histoire du Judenlager de juillet 1942 à janvier 1944. Une comparaison entre les uniformes allemands des deux guerres mondiales permet en effet d'éviter les anachronismes.
Pour ce qui concerne l'histoire du Judenlager et de ses déportés juifs, l'uniforme spécifique de l'Organisation Todt - responsable économique du camp - joue involontairement un autre rôle. Pour rappel, en revoici un aperçu :
Aux revers du col, se distingue le sigle de l'Organisation Todt : en initiales rouges, un O surmonté et transpercé par un T...
Or, aux Mazures, l'OT avait confié à trois entreprises la fabrication du charbon de bois destiné aux gazogènes de l'effort de guerre nazi. Une allemande : Scholzen. Et deux françaises : Vaisset (Paris) et Viot (Revin). Toutes trois exploitèrent donc le travail forcé des déportés du camp.
Premier professionnel dans les Ardennes à soutenir les recherches sur le Judenlager, François Lorent, archiviste de la municipalité de Revin, retrouva et transmit copie de documents parmi lesquels se détache ce cachet de la firme Viot (au bas d'un courrier).
(Arch. mun. Revin)
Pur hasard ? Zèle affairiste ? Mimétisme collaborationniste ? Revoici le sigle rouge de l'OT mais enrichi du V de Viot... Ce cachet officiel se veut de toute évidence plus allemand que français... GENERALUNTERNEHMUNG se traduisant par : entreprise générale (mais lire les commentaires de J-P Andry).
La collaboration économique n'a guère été inquiétée aux lendemains de la libération, ces lendemains qui devaient "chanter". En dépouillant "L'Ardenne nouvelle", journal issu de la Résistance, un constat objectif : aucun article n'y fut consacré au sort des Juifs sous l'occupation et a fortiori pas le moindre sur le Judenlager des Mazures. Du moins Viot s'y trouve-t-il cité à deux reprises. Voici les retranscriptions :
« Arrestation de M. Viot. Cette nouvelle a ému la population. M. Viot, exploitant-forestier, travaillait pour le « Todt », sans doute. Mais on prétend qu'il aurait aidé 180 réfractaires pour les empêcher de partir en Allemagne. 108 actuellement présents, seraient prêts à témoigner qu'il les a payés très largement et que ces chiffres ne figuraient pas sur sa comptabilité. Il aurait également aidé des familles de fusillés. Tout cela exige une sérieuse enquête. » (" L'Ardenne Nouvelle " n°6) Comment ne pas apprécier la formule journalistique : "travaillait pour le "Todt", sans doute" ? Car tout doute est superflu : Viot collaborait bel et bien. Mais cette formule subtilement rédigée tendrait justement à atténuer, voire à passer aux pertes et profit cette conduite de complicité économique avec l'occupant nazi ! Quant aux bénéfices retirés du travail forcé des Juifs des Mazures, silence. Mais "une sérieuse enquête" est annoncée. En conséquence de cette dernière, l'arrestation ne sera que de brève durée : « Les chantiers de carbonisation non seulement n'ont commis aucun fait répréhensible, mais ont fait acte de résistance active en camouflant des centaines de réfractaires, les livres de paie étant eux aussi camouflés, en ne laissant apparaître qu'un nom pour deux travailleurs. M. Viot a également fourni de nombreux renseignements au maquis Prisme et transporté des hommes et du ravitaillement au dit maquis. Il a remis 300.000 francs à la Résistance et créé une caisse de secours pour les familles des fusillés de Revin. L'action de la firme Viot dans les Ardennes est donc à l?abri de toute critique et elle est qualifiée pour continuer l'exploitation du chantier. » (" L'Ardenne Nouvelle " n° 20).
Fermez le ban. Viot a camouflé des réfractaires, renseigné le maquis et ouvert son porte-feuille pour des familles éplorées après le massacre des Manises. "Les chantiers n'ont commis aucun fait répréhensible"... Même pas la part prise dans l'exploitation d'un camp à caractère raciste évident ? Les Juifs du Judenlager des Mazures, il ne les a pas camouflés. Il n'a pas renseigné la résistance à leur propos. Il n'a jamais dédommagé les familles des travailleurs forcés. Ceux utilisés par Viot sont d'ailleurs tous morts ensuite à Auschwitz où ils avaient été transférés au départ des Mazures via Malines ou Drancy... En 1944, après la libération, ces Juifs peuvent déjà tomber dans l'oubli. Ils y resteront près de 60 années. Jusqu'à ces recherches.