P. 47. Hommage à Emile Fontaine (4)
Aubenton décembre 1946, des rescapés des Mazures font apposer une plaque d'Hommage à Emile Fontaine
S'étant échappé de justesse quand le Judenlager des Mazures devait être fermé et alors que leur déportation sur Drancy pour Auschwitz était mise en application, tous les Juifs pris en charge par le réseau d'Emile Fontaine eurent la vie sauve. Rejoints par trois rescapés des camps, neuf évadés firent apposer à la Mairie d'Aubenton une plaque d'hommage à Emile Fontaine. C'était le 15 décembre 1946. Ce bronze doit être l'un des seuls en France à porter et la Croix de Lorraine et l'Etoile de David. Leur rapprochement symbolique correspond très fidèlement à cette histoire de Résistants français ayant caché puis évacué des Juifs de Belgique persécutés par les nazis.
En voici le texte d'hommage :
A EMILE FONTAINE
âme de la RESISTANCE ARDENNAISE
qui fut celui qui nous soutint et nous
sauva sous l'oppression allemande
il se sacrifia glorieusement pour que survivent ses
CAMARADES ISRAELITES BELGES
du Camp de concentration des Mazures
Suivent douze noms. Pour chacun d'entre eux, quelques brefs éléments biographiques :
SPRINGER S(iegfried) J(acques) : né à Anvers, Belgique, le 23 mai 1907, évadé du Judenlager le 18 novembre 1943, capturé à Charleville le 13 mars 1944, fausses identités qui n'ont pas été percées : Bourgeois et Somers Jean, emprisonné comme résistant français à Moabit (Berlin) le 3 avril 1944, libéré du camp de Kaldenhausen (Krëfeld) le 4 mars 1945
SZUSTER N(athan) : né à Anvers, le 21 décembre 1922, évadé de la gare de Charleville le 5 janvier 1944, itinéraire pour tenter de gagner l'Angleterre : Hirson-Paris-Toulouse-Mirepois, suite à une action de la Milice, échec d'un passage des Pyrénées, engagement dans un maquis du Gers, participe à la libération de Toulouse, combat devant la poche de Bordeaux, finit la guerre comme auxiliaire de l'armée américaine à Reims
REICHER H(enri): né à Anvers, le 13 janvier 1922, repris à Revin après une première tentative d'évasion depuis le Judenlager, évadé du convoi Charleville-Drancy le 5 janvier 1944 (futur père de Yaël, Présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures)
ARON L(éopold) : né à Anvers, le 10 mars 1916, fait partie des 10 évadés du convoi Charleville-Drancy la fermeture extérieure de leur wagon à bestiaux ayant été débloquée par un cheminot d'Amagne-Lucqy
LEMER S(alomon) : né à Anvers, le 4 décembre 1919, évadé du convoi du 5 janvier 1944
KOGEL S(alomon) : né à Anvers, le 20 décembre 1911, évadé du convoi Charleville-Drancy
STOCKFEDER D(avid) : né à Varsovie, Pologne, le 28 janvier 1897, évadé du convoi Charleville-Drancy
LIEBERMAN V(ital) B(ertrand) : né à Anvers, le 30 octobre 1920, transféré des Mazures à Drancy, convoi 66, matricule 172 748 à Auschwitz puis 122 539 à Buchenwald, libéré du camp de Zwierberge-Langestein, seul "Mazurois" rescapé du convoi 66
LIPSCHITZ S(alomon) : né à Anvers, le 13 octobre 1910, à Drancy détaché au kommando d'Austerlitz, sauvé par la libération de Paris (des documents administratifs portent aussi les orthographes : Liwschitz et Libschitz)
KOGEL CH(arles) : né à Anvers, le 22 novembre 1910, évadé du convoi tout comme son cadet Salomon
GRUN H(enri) : né à Anvers, Belgique, le 23 août 1912, évadé du convoi Charleville-Drancy, caché à Reims jusqu'à la fin de la guerre
KASSERES A(braham) : né à Amsterdam, Hollande, le 23 janvier 1906, évadé du convoi du 5 janvier 1944 (les documents d'Etat civil anversois sont tous orthographiés Casseres)
Quelques remarques pour compléter la lecture de cette plaque :
- 2 évadés du convoi vers Drancy ne sont pas associés à la plaque : Rappeport Jules et Schamis Jacob ;
- par contre, Springer Jacques, Lieberman Vital et Lipschitz Salomon dont les itinéraires vers la liberté passèrent par des camps après Les Mazures et qui ne furent pas pris en charge par le réseau d'Emile Fontaine, ont néanmoins participé concrètement à l'hommage ;
- contrairement au texte, tous les Juifs cités ne possédaient pas la nationalité belge : Stockfeder David étant Polonais et Kasseres Abraham Hollandais ;
- la qualification d'"Israélites" garde des traces encore douloureuses de l'antisémitisme ayant conduit à la Shoah mais il ne doit pas effacer cette réalité : les Juifs ont été persécutés pour des raisons totalement raciales et non pour une appartenance religieuse que tous ne revendiquèrent d'ailleurs pas ;
- enfin Les Mazures apparaissent nommément comme "camp de concentration", depuis il a été veillé - ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques - à différencier les camps de travail forcé comme celui des Mazures, ceux de rassemblement comme Malines et Drancy, ceux de concentration ou encore ceux d'extermination mais celles et ceux qui pénètrent aujourd'hui à la Mairie d'Aubenton, lisent-ils encore cette plaque et s'interrogent-ils sur l'existence d'un camp aussi proche de chez eux ???