P. 72. Rue Emile Fontaine Juste des Nations

Publié le par Jean-Emile Andreux

Emile Fontaine, ainsi que sa compagne Annette Pierron et la mère de cette dernière, Camille Pierron sont reconnus Justes des Nations pour avoir sauvé des évadés des Mazures.


Les tentatives pour sortir « de la nuit et du brouillard » les destins individuels des déportés du Judenlager des Mazures, et plus particulièrement ceux des évadés, ont lentement fait émerger la figure d'un Résistant français qui joua un rôle essentiel dans le sauvetage d'une dizaine d'entre eux.

Dans le cadre des recherches, ce Résistant fut évoqué pour la toute première fois le 6 août 2002. Ayant hébergé aux Mazures l'épouse d'un déporté, Abraham Casseres, Madame Mireille Colet-Doé, institutrice retraitée, était interrogée sur cet épisode et sur ses autres souvenirs.  A propos des évadés de la gare de Charleville ainsi que de ceux du convoi Charleville-Drancy du 5 janvier 1944,  elle s'exprima ainsi devant témoins (dont François Lorent, archiviste de Revin mais aussi son beau-fils et qui avait rendu possible cette rencontre) :

- « Grâce à un passeur d'Aubenton dans l'Aisne...ils seront ensuite cachés dans des fermes isolées. Le passeur, lui, fut dénoncé et fusillé. »

Le nom, la fonction exacte, les actions et la fin tragique de ce "passeur" ont représenté autant de questions auxquelles il importait de trouver au moins des approches de réponses. 

Dans les archives belges du Service des victimes de la guerre où sont consultables tous les dossiers individuels des déportés des Mazures, ne figuraient que deux mentions de ce Résistant - mais toujours sous une forme anonyme. Et ce, dans une requête introduite par Charles Kogel en date du 14 mai 1945 ainsi que dans un procès-verbal de Nathan Szuster entendu par la Justice le 26 novembre 1951. Ils attestaient de la présence au Judenlager même d'un Résistant français qui les avait aidés ensuite. Sans autres précisions.

Par contre, le 12 novembre 2002, le fils d'un autre déporté, Michel Grün, consultant la veuve d'un évadé, Gaby Reicher, confirmait la présence à Aubenton d'une plaque apposée après guerre pour perpétuer la mémoire de ce Résistant qui avait nom : Emile Fontaine !

A Aubenton même, cette plaque de bronze - très explicite - avait sombré dans l'absence de mémoire à tel point que les personnes interrogées sur place ne pouvaient apporter d'explications pertinentes (voir page 4 de l'Hommage à Emile Fontaine). 

Bref, sur base du nom d'Emile Fontaine, le travail conduisit à consulter la presse ardennaise aux lendemains de la Libération, à consulter les archives départementales, à entendre des historiens locaux, à retrouver des Résistants compagnons d'Emile Fontaine, à rencontrer des témoins mais aussi ses deux filles : Adrienne Fontaine et Annie Determe. 

Au nombre des déportés des Mazures, ne restaient en vie que Joseph Koganovitsch, Josef Peretz et Nathan Szuster. Le premier s'était évadé en juin 1943 et le second de la gare de Charleville le 5 janvier 1944 pour rejoindre Revin, y être pris en charge par les Résistants du groupe de Georges Peuble et gagner la Belgique. Ils ne pouvaient dès lors témoigner à propos d'Emile Fontaine et d'ailleurs leur nom ne figure pas sur la plaque d'Aubenton au titre de donateurs.

Par contre Nathan Szuster, s'échappant lui aussi de la gare de Charleville, regagna Les Mazures à pied, puis fut confié à Emile Fontaine. Celui-ci le cacha avec d'autres évadés ayant sauté eux du convoi Charleville-Drancy. Puis lui fournit les moyens de gagner les Pyrénées via Paris.

Nathan Szuster n'accepta de répondre devant témoins et aux questions sur les Mazures, sur son évasion, sur Emile Fontaine puis sur son engagement dans l'armée française et enfin comme auxiliaire de l'armée américaine, qu'en octobre 2003. Puis en avril 2004.

Ce rescapé était sincèrement persuadé que les leçons de la dernière guerre en général et de la Shoah en particulier, étaient restées lettres mortes. Il affirmait avec désespoir l'inutilité de porter témoignage pour un public au minimum indifférent, si pas hostile. Il estimait que la jeunesse en particulier n'était pas porteuse d'un devoir de mémoire. Cependant, dans la perspective d'une constitution de dossier pour Yad Vashem, Nathan Szuster se résolut donc à se confier. Hélas, il décéda en octobre 2004 sans avoir pu être officiellement remercié pour son apport essentiel à la reconnaissance d'Emile Fontaine comme Juste des Nations.

Un dossier fut remis à Yad Vashem France pour sa mise en forme (toute notre gratitude à Jenny Laneurie) puis sa transmission à Jérusalem. Cet épais dossier comportait notamment une déclaration essentielle faite devant témoins par Nathan Szuster à Blankenberghe (Belgique) le 22 octobre 2003. En voici un extrait :

- « A Aubenton, où j'ai dormi après l'évasion, un fermier m'a donné un revolver. J'étais là comme réfractaire. Le lendemain matin, je sors et je vois Harry {Reicher} accompagné de Paul Aron. Ils m'ont raconté qu'ils avaient sauté de leur wagon. Ensuite, chez Madame Fontaine, nous sommes retrouvés ensemble Stan Kogel, Harry, Paul et moi. Les derniers jours à Rumigny, avec Reicher, nous étions chez Mme G. Lui voulait retourner à Anvers, moi partir pour l'Angleterre et y rejoindre l'armée belge. On ne pouvait plus rester là-bas. Emile Fontaine m'a placé dans un hôtel près de la  gare d'Hirson. Je devais partir pour l'Espagne {et passer en Angleterre}... »

Yad Vashem a estimé que non seulement Emile Fontaine méritait amplement d'être reconnu pour le sauvetage de ces juifs mais aussi sa compagne, Annette Pierron et la mère de celle-ci, Camille Pierron. En effet c'est dans la ferme de cette dernière, là où sa fille l'avait rejointe après son veuvage - la ferme de Buirefontaine (voir page 66) - que furent dissimulés les évadés.

Les archives, les documents et les souvenirs recoupés pendant quatre années, confirment le désintérêt total de ces trois nouveaux Justes des Nations. L'idéalisme et la personnalité charismatique d'Emile Fontaine ne relèvent pas d'une imagerie d'Epinal inutile voire déplacée. Sa fin courageuse se situa au terme d'un itinéraire rectiligne passant par le sauvetage de juifs persécutés et promis à la mort. Sa compagne était son égale et avait de qui tenir : sa mère qui transforma sa ferme en centre d'accueil au risque d'y perdre la vie.

La rue Emile Fontaine inaugurée le 16 septembre à Aubenton portera donc la mention "Juste des Nations", ainsi que s'en préoccupa aussitôt Lucien Lazare, rapporteur de la Commission des Justes à Jérusalem. Les date et modalités ne sont pas encore déterminées pour la cérémonie des trois reconnaissances par Yad Vashem. Ce blog vous en informera en temps utile.

 



Emile Fontaine : portrait publié dans  "L'Ardennais"  du 7 décembre 1994

 

 

Publié dans Yad Vashem

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