P. 76. Discours de Yaël Reicher

Publié le par Jean-Emile Andreux

Ce 16 septembre, lors de l'inauguration de la rue Emile Fontaine à Aubenton, la Présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, salua "dans sa mort une éternité cachée" :

 

 

Avec un air nostalgique, je me l'imagine grand et magnifique. Avec une admiration sans fin, je me l'imagine humble et généreux. Sans le connaître, j'éprouve une amitié profonde pour un personnage qui incarne la beauté, la bonté et la tendresse.

Le personnage d'Emile Fontaine me touche comme l'émotion ressentie en écoutant une sonate de Mozart - pur, rêveur, digne, héroïque, éloigné mais si proche en même temps, simple, sans façon, pragmatique, beau, juste.

Je ne pourrais que me faire une image de ce personnage extraordinaire car d'autres, vides de tout sentiment identifiable, en ont lâchement décidé autrement. Lorsqu'il a été abattu, le 30 mars 1944, Emile Fontaine avait à peu près le même âge que moi aujourd'hui.

Emile Fontaine, Capitaine FFI, grande figure courageuse et âme de la résistance française, a sauvé la vie à des êtres humains - sa générosité émotionnelle va bien au-delà du terme. Emile Fontaine luttait pour une cause juste ce qui l'emmenait à des degrés de compassion envers l'autrui que peu d'êtres humains pourraient même commencer à comprendre.

Emile Fontaine fut arrêté en août 1943, incarcéré à la prison de Rethel, puis au camp des Mazures pour un minimum de 5 mois de travaux forcés. Aux Mazures, Emile Fontaine découvrit l'existence d'un camp pour Juifs et malgré la stricte interdiction d'entrer en contact avec eux, leur promit toute son assistance si certains d'entre eux s'évadaient. Et il a tenu promesse en sauvant la vie d'une dizaine de déportés, en les cachant à Aubenton même et dans des villages proches à Rumigny ou à Watigny.

Ce qui rend le personnage d'Emile Fontaine aussi magnifique et glorieux est qu'il se mettait au deuxième rang en montrant un courage incroyable pour sauver des hommes, des femmes, des enfants; des êtres humains dépourvus de leur dignité, humiliés, déportés, gazés, exterminés. Ces êtres humains étaient des Juifs. Emile Fontaine ne les connaissait pas mais il était déterminé à se battre pour un monde juste et il a payé son courage de sa vie, le même sort que la majorité des Juifs du Judenlager des Mazures, le même sort que 6 millions de Juifs ont subi suite au régime fasciste du 3e Reich.

Ce nazisme corrupteur de toute intelligence et de toute morale qui avait contaminé l'Europe et sous le règne duquel il n'est plus de citoyens mais seulement des molécules de corps social, interchangeables et anonymes, des individus réduits à leur expression statistique, qui ont des supérieurs, des inférieurs, et plus de prochain. Avec lui disparaissent la pitié, la sensibilité, les sentiments qui viennent tempérer l'exercice du pouvoir et adoucir les rapports entre les êtres qui vivent sur cette pauvre terre. Le totalitarisme commence par abolir l'humanité et en ce sens on peut dire que le peuple allemand a été sa première victime.

Après quoi, toutes les monstruosités deviennent possibles. Ce n'était rien pour le système d'exterminer les Juifs et les Tziganes, de tuer les handicapés physiques ou mentaux, de gazer des enfants ou de pratiquer des expériences médicales sur des prisonniers : le nazi n'eût même pas compris ce que l'on voulait dire si on lui avait parlé au milieu de ses oeuvres de mort, de « crime contre l'humanité ».

Car crime contre l'humanité il y avait. On ne cesse de s'interroger sur ce comportement énigmatique de l'homme. Cette déshumanisation collective, comment était-elle possible ? Comment est-elle toujours possible ? Est-ce que cela pourrait recommencer ? Quand est-ce que le monde apprendra ? Pourquoi cet égoïsme, cette haine, cette discrimination, cette insensibilité, ces dogmes, ces doctrines, ces crimes poussés par l'ignorance et l'intolérance ? Quand est-ce que le monde verra ce qu'Emile Fontaine voyait si clairement il y a 62 ans maintenant ?

Rien n'a pu et ne pourra faire oublier Emile Fontaine. Il y a dans sa mort une éternité cachée. Accompagné de 9 rescapés du Judenlager des Mazures et sauvés par le réseau Fontaine ainsi que de 2 survivants, l'un d'Auschwitz et l'autre de Drancy, internés auparavant aux Mazures, Jacques Springer disait lors de l'inauguration de la plaque d'hommage à la Mairie d'Aubenton en décembre 1946 : « il continue à vivre dans nos coeurs, le coeur de nos femmes et de nos enfants à qui nous avons raconté la vie de bonté, la mort glorieuse d'Emile Fontaine ».

Et nous n'oublierons jamais. L'amitié profonde que nous éprouvons envers Emile Fontaine, aujourd'hui, 62 ans après sa mort est intacte. Elle nous a été transmise et elle sera transmise de génération en génération. Parce qu'Emile Fontaine fut quelqu'un d'exceptionnel, qui avait une sensibilité différente, une sensibilité pour les minorités, pour les défavorisés, pour ceux qui étaient faibles, chassés, discriminés, poursuivis, humiliés, mis dans des camps et anéantis. Emile Fontaine était prêt à mettre sa propre vie en péril pour se pencher sur les plus malheureux et pour se battre pour une cause juste. Et il a donné sa vie parce qu'il croyait en un monde juste.

Cette journée est importante pour nous car la reconnaissance d'Emile Fontaine aujourd'hui le fait survivre à son passé, à notre douleur et à notre souffrance. C'est un grand privilège pour nous de pouvoir faire honneur aujourd'hui au héros qu'était Emile Fontaine.

Je tiens à remercier particulièrement le Professeur et historien Jean-Emile Andreux ainsi que Marie-France Barbe, historienne ardennaise pour leur amour de la recherche historique mais aussi la reconnaissance des liens entre nous tous, tissés sur les cendres de nos parents.

Dans le cadre de la fidélité au souvenir d'Emile Fontaine, la gratitude mais surtout l'admiration que nous éprouvons envers lui à travers les récits de nos parents, l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures a voulu marquer sa reconnaissance en éternisant le personnage magnifique et courageux d'Emile Fontaine.

Nous sommes particulièrement heureux du titre officiel que le Mémorial Yad Vashem lui a décerné, celui de « Juste des Nations », un titre d'une dignité extraordinaire de la personne et des droits humains qu'il a payé au prix de sa vie. Mais Emile Fontaine rayonnera à jamais, à travers sa famille, ses filles Adrienne et Annie, ses petits-enfants et à travers ses amis. Et nous sommes tous réunis aujourd'hui pour faire en sorte que sa mémoire ne s'éteigne jamais.

Je dis « Merci Emile Fontaine » pour ta grandeur et ton exemple. Merci Emile Fontaine pour ton incroyable courage et ta vision juste. En nous mobilisant contre le racisme, l'indifférence et la haine, nous continuerons à te suivre et nous te garderons en mémoire et dans nos coeurs. Merci Emile Fontaine, sans ton énorme courage, beaucoup d'entre nous ne seraient pas ici aujourd'hui.

Yaël Reicher, au nom de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures

 

 

 

 

 

La gerbe déposée par l'Association sur la stèle d'Emile Fontaine (photo M. Grün)

 

 

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