P. 187. Anvers : ville piège pour les juifs sous l'occupation.
Président d'un parti nationaliste flamand, Bart De Wever s'enfonce dans les thèmes négationnistes.
Partir de l'histoire des déportés du Judenlager des Mazures peut conduire à des pans autrement plus vastes et plus dévastés de la Shoah.
Le 18 juillet 1942, un convoi de chemin de fer partait d'Anvers pour Bruxelles. Puis, de la capitale pour les Ardennes de France. 288 Anversois allaient y être mis au travail forcé pour l'Organisation Todt. Une dernière exploitation de cette main d'oeuvre juive avant son extermination programmée à Auschwitz.
Si ce convoi du 18 juillet n'avait pas été décelé par les historiens belges avant 2002 (1), par contre, sept autres avaient retenu leur attention. Tous les sept emportant eux aussi de juifs de Belgique mis à la disposition de l'Organisation Todt et en France. Mais dans le Nord, à Dannes-Camiers (2), soit près de Boulogne).
Or, depuis l'ordonnance allemande du 27 mai 1942 (3), les juifs de Belgique ne pouvaient plus résider que dans quatre villes du Royaume : Anvers, Bruxelles, Charleroi et Liège, la très large majorité de la population dite "juive" se répartissant en parts égales entre Anvers et Bruxelles. Malgré quoi, le relevé des huit convois de travailleurs forcés juifs ne manque pas de poser question. En effet, le 31 juillet 1942, un unique convoi quitte Charleroi. Et le 3 août un seul autre de Liège. Si les proportions de répartition des juifs entre Anvers et Bruxelles avaient été "respectées", trois convois auraient pris le départ de chacune de ces villes. Il n'en fut rien. En effet, cinq trains s'ébranlèrent depuis la Métropole anversoise : le 13 juin, le 14 juillet, le 18 juillet (celui des Mazures), le 15 août et le 12 septembre. Pour un seul convoi de la capitale, le 26 juin. Comment expliquer cette saignée évidente parmi les juifs d'Anvers et non ceux de Bruxelles ? La réponse est aussi limpide que douloureuse. Par une différence indiscutable de comportements des autorités communales. A Anvers, celles-ci collaborèrent avec une efficacité meutrière. Les travaux de Maxime Steinberg puis ceux de Lieven Saerens (4) ne laissent place à aucun doute historique à ce sujet.
Ce dimanche 28 octobre, le Forum des Organisations Juives proposait à Anvers un Congrès sur le thème : "Kinderen van de Shoah - Enfants de la Shoah" (5). En déplacement à l'étranger, le bourgmestre d'Anvers, Patrick Janssens (6), avait néanmoins veillé à ce que les congressistes puissent suivre la projection par laquelle il présentait, au nom de la Ville, ses excuses pour la complicité active des autorités communales et de leur police envers le nazisme en général et la mise en place puis l'application de la Shoah en particulier.
Hélas, ce geste symbolique de reconnaissance vient d'être aussitôt terni par la réaction immédiate du président d'un parti nationaliste flamand, le Nieuw Vlaamse Alliantie, allié des catholiques flamands du CD&V.
En effet, Bart De Wever s'est répandu en regrets fielleux et en critiques frontales suite au discours du bourgmestre d'Anvers. Voici deux extraits repris dans le journal "De Morgen" :
"Ce n'est pas la ville d'Anvers qui a organisé la déportation mais elle fut elle-même une victime de l'occupation. Ceux qui la dirigeaient à l'époque ont dû prendre des décisions délicates dans des circonstances difficiles. Je ne trouve pas très courageux de les stigmatiser maintenant."
"Si l'on doit commémorer la Shoah, l'on ne peut perdre de vue la situation des territoires palestiniens occupés où certains ont recours à des techniques qui me font penser à un passé noir, plutôt que de tirer les leçons du passé"...
On y retrouve la dilution des responsabilités de l'époque et au niveau des autorités communales. Celles-ci n'auraient pas collaboré, elles auraient appliqué une espèce de politique du "moindre mal"... Puis Bart De Wever recourt à la tactique classique consistant à poser les antisémites en victimes à la place des juifs persécutés et systématiquement conduits au massacre. Enfin, il déplace le sujet. Sans craindre les anachronismes ni les assimilations, il évoque quand même la Shoah mais pour mieux s'en prendre à l'Etat d'Israël.
Si ce genre d'arguments ne pèsent pas leur poids de négationnisme...
Soulevant des remous scandalisés, le même Bart De Wever, estima bon d'ajouter à la VRT (Radio Télévision Flamande) :
"Quand j'ai dit que les excuses de Patrick Janssens était "gratuites", je faisais seulement allusion au fait qu'elles arrivent trop tard... Cela n'était en rien une remarque négative à l'encontre de la communauté juive. Soixante ans après les faits, alors que tout le monde est mort, le fait de présenter des excuses n'est évidemment pas un acte de grand courage politique. Mais je ne m'y suis jamais opposé, jamais".
Là, il patauge lamentablement. Le silence avait été coulé dans le plomb quant à la conduite des autorités communales sous l'occupation et celle, répugnante, de leur police. Silence seulement brisé plus de soixante années après 1945 par le bourgmestre Janssens. Que ce Bart De Wever n'avait-il appelé à ce que des excuses ne soient présentées plus tôt s'il les considère comme trop tardives ? Et quel cynisme, volontaire ou non, dans cette volonté d'enterrer précipitamment les derniers survivants, les derniers témoins. "Tout le monde" n'est pas "mort" ! Et nous saluerons Joseph Koganovitsch ainsi que Josef Peretz, deux Anversois déportés et évadés des Mazures. Tous deux sont toujours en vie aujourd'hui !
Jo Vandeurzen, président du CD&V, parti allié de la N-VA, a aussitôt répliqué par ce communiqué :
- "Le plus grand problème n'est pas qu'elles (les excuses) soient venues si tard mais qu'elles n'avaient, jusqu'à présent, jamais été présentées par un bourgmestre d'Anvers. Il apparaît bien que les autorités anversoises, et notamment de nombreux agents de police, ont collaboré activement en 1942 aux rafles et aux arrestations de Juifs. Plutôt que de protéger leurs concitoyens, elles ont mené à la déportation et à la mort des milliers de Juifs et ont constitué un maillon de l'entreprise horrible d'anéantissement des Juifs par l'Allemagne nazie. Contrairement à ce qu'a déclaré le président de la N-VA, les références à l'Holocauste n'ont rien de déplacé dans la lutte contre l'extrême-droite."
Une conclusion est laissée au Centre Communautaire Laïc Juif dont un communiqué débute par cette mise au point :
- "Le Centre Communautaire Laïc Juif (CCLJ) salue le bourgmestre d'Anvers, Patrick Janssens, pour les excuses qu'il a présentées à la communauté juive en ce qui concerne la collaboration active de la police et de l?administration communale d'Anvers dans la déportation des Juifs de cette ville vers les centres d'extermination nazis pendant la Seconde guerre mondiale. Pour la première fois, un responsable politique anversois reconnaît la terrible responsabilité des autorités anversoises dans les trois rafles de 1942, qui avait été clairement établie par des historiens belges. De plus, le rapport du CEGES sur les autorités belges et la persécution des Juifs en Belgique durant la Seconde Guerre mondiale, La Belgique docile, commandé par le gouvernement à la demande du Sénat, confirme cette implication. Ce geste important permet enfin à la mémoire collective de se conformer à la vérité historique."
Envoyés après la publication de cette page, les communiqués de presse du Forum des Organisations Juives et des Amis Belges de Yad Vashem figurent in extenso dans les "commentaires"
Il se dit que Bart De Wever n'apprécie pas, mais pas du tout la photo qui va suivre. Elle date de 1996. Et n'est pas le résultat d'un montage.
A G. : Bart De Wever ; à l'extrême-droite : Le Pen (site Résistances)
Notes :
(1) Par contre, Danielle Delmaire, historienne de l'Université de Lille 3, les évoquait notamment dans : Les camps des Juifs dans le Nord de la France, MEMOR, Villeneuve d'Ascq, n° 8, 1987, pp. 47-64.
(2) Voir en liens : "Mémoire de Dannes-Camiers".
(3) Lire : Steinberg Maxime, La Persécution des Juifs en Belgique (1940 - 1945), Bruxelles, Ed. Complexes, 2004, 317 p.
(4) Consulter : Saerens Lieven, Vreemdelingen in een Wereldstad. Een geschiedenis van Antwerpen en zijn joodse bevolking (1880-1994), Tielt, Lannoo, 2000, 848 p.
(5) Page 167 de ce blog.
(6) Page 85 : "La peste noire n'est pas passée."