P. 190. Onze Justes parmi les Nations

Publié le par Jean-Emile Andreux

Le Comité français pour Yad Vashem (1) communique les noms des onze Justes parmi les Nations honorés lors de la Cérémonie du 3 décembre à l'Assemblée Nationale.

 

Au nombre de ces onze Justes, la présentation du dossier (2) d'Emile Fontaine, d'Annette et de Camille Pierron sera lue par Anaïs Carpillo, arrière petite-fille de Benedyckt Kamienker, déporté des Mazures mort ensuite à Auschwitz (3) :

Anaïs Carpillo (Photo Fam.)

ainsi que par Mathilde Mathie-Matheu, élève de Terminale littéraire au Lycée Saint-Remi de Charleville-Mézières (4) :          

          Mathilde Mathie-Matheu (Photo JEA)            

Avant la conclusion de cette cérémonie, trois témoignages et remerciements seront également prononcés en souvenir d'Emile Fontaine, d'Annette et de Camille Pierron. Dont celui de Yaël Reicher, présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, fille d'évadé des Mazures sauvé par les Justes précités.

A l'origine, l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures avait eu l'honneur de solliciter le Comité français de Yad Vashem suite à l'inauguration de la rue Emile Fontaine à Aubenton (septembre 2006). Contrairement aux promesses données par le Maire, la plaque de cette rue ne portait pas la qualité de "Juste parmi les Nations" à la suite du nom d'Emile Fontaine (situation inchangée depuis). Nos lecteurs assidus se souviendront qu'à la question de comprendre le pourquoi de cette omission volontaire, l'unique réponse reçue se résumait en ces mots : "Pour ne pas en choquer certains"... De fait, si d'aucuns à Aubenton ne peuvent supporter de lire la mention de "Juste parmi les Nations" pour un héros de la Résistance, il apparut évident à l'Association que la remise de Médailles et de diplômes en hommage à Emile Fontaine mais aussi à sa compagne Annette Pierron et à la mère de celle-ci, Camille Pierron, que cet hommage n'avait plus sa raison d'être en la Mairie même d'Aubenton ! (5)

Partageant et relayant la tristesse et l'incompréhension de l'Association, le Comité français pour Yad Vashem a obtenu que cette cérémonie se déroule dans un lieu hautement symbolique, dépassant les réticences d'une Mairie. Le Sénat fut d'abord invoqué mais l'Assemblée Nationale a finalement été retenue. Le Comité a de plus élargi la cérémonie par la remise de huit autres médailles et diplômes de Justes parmi les Nations.

 

Le Comité français ayant eu l'obligeance de nous faire part des autres hommages inscrits au programme de cette soirée mémorable, en voici une brève présentation :

 

- Jeanne Henri Robert. Première épouse du Président Paul Reynaud et fille du bâtonnier Henri Robert, elle a caché et pris en charge Gisèle Godlewski. En 1942, celle-ci se porta d'abord volontaire pour venir en aide aux familles juives enfermées au Vel d'Hiv. Puis la Wermacht l'arrêta avant que sa spécificité de "demi-juive" ne la fasse libérer. Elle sera néanmoins dénoncée pour avoir mis sur pied un réseau clandestin avec André Baur, Président de l'UGIF. Enfermée à Drancy, Gisèle Godlewski participa au creusement d'un tunnel. Après l'échec de cette tentative d'évasion et nullement rebutée, elle saute du train parti vers Auschwitz... Son errance se stabilisera auprès de Jeanne Henri Robert jusqu'à l'arrestation de cette dernière le 14 mai 1944, Gisèle Godlewski ayant elle le temps de passer entre les mailles du filet en empruntant un escalier de service !

 

- Gina Libera, Marie et Charles-Henri Guy. Tenant un kiosque à journaux dans le 9e arrondissement, Gina Libera hébergea lors des rafles parisisiennes la famille Stoutzer à laquelle la liait une véritable amitié nouée avant guerre. Ainsi, le couple Hirsch et Rosa Stoutzer-Tanevitsky ainsi que leurs fils Armand et Roger, purent-ils échapper à Drancy donc à Auschwitz. Pour les écarter de l'atmosphère pesante d'un Paris où se pratiquait la chasse aux juifs, Gina Libera envoya régulièrement son propre fils, Jean Le Guinec accompagné du cadet des Stoutzer, Roger, dans le Morbihan. Marie et Charles-Henri Guy leur ouvraient grande leur maison peu avant les vacances scolaires et ce, jusqu'à la rentrée suivante...

 

- Marie Licini et son fils, Alphonse Licini. Tous deux avaient leur épicerie dans le 12e arrondissement. Ils y cachèrent la famille Jakobowicz qui comptait au nombre de leurs fidèles clients depuis avant guerre. Hélas, il était alors trop tard pour le père Jakobowicz qui avait déjà été mis derrière les barbelés de Beaune-la-Rolande avant son envoi sans retour à Auschwitz. Mme Jakobowicz ainsi que sa fille Marie furent bientôt rejoints par un cousin. Mais Paris se montrant de plus en plus dangereux pour les persécutés, Alphonse Licini se dévoua pour leur faire franchir la ligne de démarcation vers Mâcon. Ce "passeur" désintéressé renouvela ensuite ce genre d'opération de sauvetage en guidant notamment Marie Rosner et Mme Stern.

 

- Nestor et Roger Prime (6). Comme tant d'autres familles juives, les Rosenberg furent frappés par la Shoah. La mère, Jachette, et une fille, Malka, disparurent à Auschwitz.  Tandis que le père, Abraham, finit par trouver refuge dans la ferme de la famille Prime à Baâlons près de Poix Terron dans les Ardennes. Deux autres enfants échappèrent eux aussi à la déportation : Binem (Bernard) étant dissimulé à Soisson tandis que Genia (Mathilde) était sauvée par des Ardennais. Quant à leur autre fils, David, il fut malheureusement raflé et emmené à Auschwitz dont il fut l'un des rares rescapés. Abraham Rosenberg a pu témoigner dans la presse écrite en faveur de Nestor Prime et de son fils Roger. Des habitants de Poix Terron et des environs appuyèrent ce témoignage. Petite-fille et fille de Nestor et de Roger Prime, Francine Prime recevra leurs médailles.

 

Notes :

 

(1) 19 pages de ce blog sont consacrées au thème "Yad Vashem"..

(2) Texte de présentation rédigé à la demande de Yad Vashem par J-E Andreux.

(3) Voir page 99 du blog : "Enfants cachés : Rachel Kamienker" ainsi que : Jean-Emile Andreux, Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures, Tsafon, Revue d'Etudes juives du Nord, n°3 hors-série, Octobre 2007, 155 p.

(4) Voir page 185 du blog : "La Terminale littéraire de Saint-Remi et les 3 Justes de l'histoire des Mazures" ainsi que la page 137 : "Quand les jeunes prennent le relais".

(5) Le thème "Emile Fontaine" rassemble 15 pages du blog.

(6) A propos de Nestor et de Roger Prime, il importe de s'excuser auprès des personnalités et des délégations que nous avions sollicitées pour cette cérémonie du 3 décembre. Seul le dossier d'Emile Fontaine, d'Annette et de Camille Pierron leur avait été présenté (dans le contexte des Mazures et d'évadés de ce Judenlager). Sans mention d'autres Ardennais reconnus eux aussi en tant que Justes lors de la cérémonie de l'Assemblée nationale. Cette omission ne répondait nullement à un esprit médiocre d'accaparement ni à volonté déplacée d'établir des priorités ou des hiérarchies dans le malheur (mais aussi dans le courage).

Si le capitaine FFI Fontaine, sa compagne d'alors et la mère de celle-ci avec son "refuge" de Buirefontaine, avaient été seuls évoqués sans référence à Nestor et à Roger Prime, c'est par ignorance complète. D'abord par ignorance des démarches entamées puis de l'aboutissement heureux de la reconnaissance de ces derniers comme Justes parmi les Nations. Il fallut prendre connaissance du programme du 3 décembre - retrancrit aussitôt sur cette page du blog - pour que la mémoire de ces deux autres Ardennais puisse être évoquée ici.

Le constat se renouvelle : l'histoire des juifs du camp des Mazures demeure étonnamment comme isolée de celles des autres déportés des Ardennes et des victimes de la Shoah dans le département, "ouvriers agricoles" de la WOL ou juifs des Ardennes elles-mêmes. Au point que depuis 2004, l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures n'est toujours pas associée aux journées de la déportation, de la Shoah et des Justes, que ce soit en Belgique ou dans le département.

 

 

 

 

Publié dans Yad Vashem

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