P. 164. La faim aux Mazures

Publié le par Jean-Emile Andreux

 

Souvenirs et témoignages : la faim au Judenlager

 

Jacob Liwschitz :

Au début, la situation était très dure. Nous recevions à manger juste de quoi survivre. 

(PV 26 février 1948, Dos. 123466/C4, Service des Victimes de la Guerre, Bruxelles)

 

Vital Lieberman :

Matin : 250 gr de pain collant, 25 gr de saindoux ou de margarine.

Midi : soupe aux herbes, poivrée.

Soir : ratas et tranche de saucisson, des fois soupe aux harengs que personne ne touchait.

A l'occasion de contrôles du SD (2) de Charleville et de Paris, les détenus touchèrent une ration supérieure dont le menu était affiché au guichet de la cuisine.

(Rapport, 17 mai 1970, SVG)

 

Nathan Szuster :

Je voudrais parler de Stan {Salomon} Lemer : je l'ai bien connu puisqu'aux Mazures, il avait la couchette au-dessus de la mienne, dans la baraque. Nous avons même été mis ensemble au cachot (3) pour une raison que j'ai oubliée...

Quand il le pouvait, Stan rapportait du village un peu de nourriture pour tout le monde. Chacun cotisait selon ses moyens et lui allait nettoyer chez les Allemands (4). Il faut dire que les Allemands aimaient les grands types costaux comme lui. Une fois, il est revenu avec un camembert. Ca puait et on voyait des vers...

Dans le camp, on était comme des frères ! Dans la baraque, tout le monde s'aidait.

(Témoignage à Blankenberge, 10 mars 2004)

 

Joseph Peretz :

Chaque jour, à l'heure du repas, les Allemands distribuaient un pot de soupe à l'odeur infecte, immangeable. Dans le dos de notre garde Allemand, Mme Devingt (5) apportait une grande marmite de purée de pommes de terre avec du jus de viande, assez pour que notre petite équipe ait un repas copieux.

Il arrivait qu'un énorme chargement de pommes de terre parvienne par train à Revin. Nous devions décharger des sacs de 50 kg pour un camion stationné près du dépot. Entre deux mouvements du camion, j'avais une conversation avec Monsieur Devingt qui ouvrait la porte du sous-sol de la gare. Quand le camion repartait pour un tour, quelques hommes se mettaient à bavarder avec notre garde Allemand tandis que je transférais un sac de pommes de terre à l'intérieur de la gare et puis dans son sous-sol. Un autre pote suivant mon exemple, nous répétions deux fois cette manoeuvre et Mme Devingt continuait à nous nourrir aux repas, prenant le risque majeur de se faire prendre en flagrant délit d'aide à des Juifs.

(Courrier à l'auteur, 2 août 2005)

 

Marie-Rose Maquin :

Mon mari, Henri, et mon père voyaient bien que les juifs mourraient de faim. Alors, je mettais pour eux des pommes de terre dans l'avoine de la musette des chevaux. Dans le bois, ils faisaient des feux pour brûler les petites branches des arbres abattus. Des pommes de terre étaient également cachées sous les cendres pour que les juifs puissent se nourrir...

Nous aussi, on n'avait pas grand chose à manger et on risquait gros. Si on était pris, on pouvait partir en Allemagne...Mais nous avons fait le plus qu'on pouvait, tandis que d'autres, dans le village, vendaient à prix d'or de la nourriture. Pas nous !

(Témoignage aux Mazures, 3 novembre 2003)

 

Louis Baudrillard :

Comme nourriture, ceux qui travaillaient dans les bois recevaient à midi des bidons de ce qu'on appelait de la soupe. Des gamelles de flotte plutôt qu'autre chose. Mon père disait :

"Ils demandaient à manger. Y'en a qui arrivaient à se débrouiller en Français."

Alors, on les aidait avec des patates, des choses comme ça.

(Témoignage aux Mazures, 26 février 2003)

 

"L'Ardenne Nouvelle" journal issu de la Résistance :

"Profiteurs de Guerre

Oui, il y en a dans notre petit village et qui, pendant l'occupation se sont conduits d'une façon odieuse vis-à-vis des Juifs du camp installé dans les environs. Ces malheureux affamés suppliaient les quelques civils qu'ils rencontraient de leur venir en aide, de leur donner à boire, à manger.

Ce fut une excellente occasion pour nos mercantis qui se précipitèrent et vendirent une petite canette de bière pour 35 francs (elle valait alors 2 fr), du pain, du fromage dans les mêmes proportions. Ainsi s'édifièrent de petites fortunes sur l'exploitation de la misère. Ceux-là méritent d'être stigmatisés et de rendre gorge. Ce sera justice."

(Journal du 21/07/1945, coll. Bibliothèque Centrale Charleville-Mézières)

 

Georges Peuble (6) :

"Je comprends que les gens des Mazures soient réticents pour parler de cette période car les résistants étaient scandalisés par le comportement de ceux qui avaient la possibilité de fournir du ravitaillement, particulièrement en lait. Ils le vendaient très cher."

(courrier à l'auteur, 2 octobre 2002)

 

NOTES :

- Pour le destin individuel de chaque déporté témoignant ou cité : se référer à la page 88 de ce blog.

(2) Sicherheitsdienst. Service de sécurité et de renseignement SS. L'antenne de Charleville dépendait du Kommando SD de St-Quentin.

(3) A la droite de l'entrée du camp, un relais électrique utilisé comme cachot et appelé par les déportés "le bunker".

(4) Les SS logeaient à l'Hôtel St-Hubert, situé à l'extrémité sud du village, vers Renwez.

(5) Ce témoignage concerne le kommando descendu chaque jour des Mazures à la Gare de Revin. Pour rappel, Madeleine Martini était l'épouse du chef de gare, Léon Devingt.

(6) Membre de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, Marie-France Barbe consacre une précieuse étude aux responsabilités assumées par Georges Peuble sous l'occupation. Consulter son ouvrage : "La Résistance sur le plateau de Rocroy et ses versants", Ed. Au Pays des Rièzes et des Sarts" (s. d.). 

 

 Sur la page de couverture : le laissez passer de Georges Peuble à la Libération

 

Publié dans Déportés

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