P. 207. Le 4 janvier 1944

Publié le par Jean-Emile Andreux


Les 6 déportés du kommando de Revin s'évadent ... Avertis de la fermeture du Judenlager des Mazures par des Allemands de la NSKK, National-Sozialistiches Kraftfahrer Korps ?!?


Le 4 janvier 1944, un camion de la NSKK descend des Mazures à la gare de Revin. A son bord du charbon de bois fabriqué dans les fours du camp. Et six Anversois qui vont charger les sacs dans des wagons. Ces porteurs d'une étoile jaune ont pour noms :

LEBOVIC Ignace et son fils Michaël
LOONSTYN Isaac et son frère Lod
STELZER Samuel
ZALSBERG Herman.

Pourquoi vont-ils, tous les six, s'évader de cette gare de Revin le 4 janvier ? Aucun n'était encore en vie quand débutèrent ces recherches. Et même, début 1970, seul herman Zalsberg pouvait encore répondre aux interrogations liées à cette évasion collective.

Henri Dumonceau de Bergendal fut chargé de rédiger un rapport d'enquête (1) pour le Service des victimes de la guerre. Ce texte porte la date du 20 février 1970. En voici la teneur :
 

- "Six Israélites dont Zalsberg Herman, furent dirigés vers un petit Kommando de travailleurs manuels, situé à Revin. Au début du mois de janvier 1944, des membres anti-nazis de la NSKK qui surveillaient ce Kommando, prévinrent les prisonniers Juifs qu'ils allaient être déportés vers l'Est et les conseillèrent même de tenter de s'enfuir. 

Mr Zalsberg parvint à s'échapper le 4.1.44 et à rejoindre Charleville qui n'était pas loin de Revin. Il put contacter à Charleville des membres de la Résistance française qui l'aidèrent à rejoindre Liège par train. Il se cacha jusqu'à la libération de la Belgique successivement à Liège, Huy et Modave." 

 



Entouré de rouge : Herman Zalsberg reconnaissable à son étoile (Photo arch. J. Peretz)


Aucun de ces 6 évadés ne retombera aux mains des occupants et de leurs collaborateurs. Si l'itinéraire suivi par Herman Zalsberg est connu qui va se terminer à la ferme Harzimont (2) de Modave, celui de ses cinq autres camarades reste inconnu sinon dans de grandes lignes. Parmi les quelques évocations enregistrées, se retrouve celle de Georges Peuble qui dirigeait la résistance sur le plateau de Rocroi : 

- "Si j'ai bien en mémoire cette période et la souffrance endurée par les juifs d'abord et les autres prisonniers ensuite { du camp des Mazures }, je n'ai aucun nom à citer. En effet, les prisonniers que nous avons pu aider ne sont jamais restés longtemps en contact avec nous. Nous les prenions en charge et nous les conduisions à Adrien MARCHAND (3) à Regniowez. 

Ils restaient quelques temps à Regniowez. Certains sont repartis vers la Belgique et les autres étaient amenés à Emile FONTAINE. Hélas, MARCHAND et FONTAINE sont décédés. FONTAINE a été exécuté par la Gestapo.  

Je sais qu'Adrien MARCHAND avait eu quelques difficultés avec des juifs d'Anvers car pendant leur séjour à Regniowez, certains écrivaient à leur famille en Belgique ! Pour signaler où ils étaient !"  (4)   

Quand le camion de la NSKK remonte au Judenlager sans son kommando évaporé dans la nature et alors que dans le plus grand secret, les responsables du camp préparent sa fermeture, les travailleurs forcés juifs sont consignés dans leurs baraquements.  En atteste un mot griffonné à la main et que Jozef Rodriguez destiné à une fermière (belge) des Mazures, Mme Arnould (5).

 



Initialement, il semble que ce bref billet soit récupéré d'un mot prévu pour le 26 décembre 1943 (?) et rédigé en Flamand (le mot "Grachte" - Cher(e) est raturé). Mais il est possible et déjà constaté sur d'autres pièces écrites que dans la fébrilité et la tension du moment, J. Rodiguez ait confondu les années 43 et 44 :

- "enfin j'espère que tout finira bien et que je suis peut-être ce soir chez vous. En attendant je vous sère (6) tous la main, et bonne chance dans l'avenir (7).

 SIGNATURE

P/S envoyez la lettre par la poste Française mais directement en Belgique et si mes photos arrivent gardez les comme souvenir."


La nuit du 4 au 5 janvier 1944 sera bien la dernière du camp ouvert pour 288 juifs le 18 juillet 1942.


NOTES :

(1) Tr 234744, SVG, Bx.

(2) Le témoignage de Hubert, fils d'Arille Harzimont et ceux des voisins sont déposés en nos archives.

(3) Maire de Regniowez.

(4) Lettre en date du 2/10/2002, constitution du dossier d'Emile Fontaine pour sa reconnaissance en tant  que Juste parmi les Nations.   

(5) Sa fille, Alberte Pernelet-Arnould a confié les originaux des courriers aux archives des recherches. Sa mère avait en effet ouvert une boîte aux lettres clandestines. Comme chaque jour, un garde du camp escortait un juif à la ferme pour y retirer du lait pour les occupants, les lettres passaient d'une main à l'autre dans ces circonstances.

(6) Tous les juifs des Mazures sont des Néerlandophones. Ce qui explique leurs éventuelles maladresses avec la langue française.

(7) Ce "bonne chance" rend un écho particulièrement sombre quand on sait que Jozef Rodriguez sera immatriculé à Auschwitz avec le numéro 172 794. Il y perdra la vie.


Publié dans Déportés

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